2024-02-01 Articles
Le client apprenti avocat : Comment le reconnaître et gérer ses attentes
1er février 2024
Nous avons tous dans nos familles une « matante Monique » qui lors des rassemblements familiaux, commente allègrement l’actualité y allant de ses prédictions et recommandations pour régler les plus grands maux de la planète. Guerres, changement climatique, déboires du Canadien, tout y passe.
Bien que cette manie puisse être loufoque, voire attachante chez Monique, il en est autrement lorsque ce comportement se manifeste chez l’un de vos clients eu égard à la gestion de son dossier.
Ce comportement se nomme ultracrépidarianisme. Ce biais cognitif renvoie au « fait de s’exprimer en dehors de son domaine de compétences, en donnant son avis sur un sujet pour lequel on n’a pas ou trop peu de compétences légitimes ou avérées »[1].
Ce concept peut être rapproché de l’effet Dunning-Kruger. Il s’agit également d’un « biais cognitif par lequel les moins qualifiés dans un domaine pourraient surestimer leur compétence »[2]. Par ailleurs, les personnes ayant ce biais cognitif éprouveraient de la difficulté à reconnaître leur incompétence et à évaluer leurs capacités réelles. Autrement dit, « moins une personne est familière avec un sujet, moins elle est consciente de tout ce qu’elle ignore »[3].
Un effet corollaire est que « les personnes les plus qualifiées auraient tendance à sous-estimer leur niveau de compétence et penseraient à tort que des tâches faciles pour elles le sont aussi pour les autres »[4].
Dans le cadre du présent article, nous traiterons de la première facette de ces biais cognitifs, à savoir : se croire plus compétent que nous le sommes en réalité.
Ainsi, le client affligé de ces biais devient un « client apprenti avocat ». Typiquement, il a déjà étudié tous les aspects légaux entourant son épineux problème juridique et s’est fait sa propre opinion avant même de vous consulter.
Généralement, il remettra en question vos commentaires préliminaires sur son dossier avant même que vous ayez accepté de le représenter.
En plus, il vous demandera probablement une réduction de vos honoraires puisqu’il a déjà effectué la majorité du travail.
Une personne qui « sait tout » et dont l’objectif est que vous demeuriez « un simple exécutant » est rarement, sinon jamais un bon client. Le client apprenti avocat argumente durant tout le dossier et refuse de reconnaître que ce dernier puisse comporter des faiblesses.
Malheureusement, votre relation avec ce client est habituellement vouée à l’échec et risque de se terminer par une réclamation en responsabilité professionnelle. Comment éviter de se retrouver dans une telle situation?
- Le client apprenti avocat entretient plusieurs idées préconçues sur les avocats et le système judiciaire. Il est donc important, dès la première rencontre, d’expliquer votre rôle, la manière dont vous pourrez l’aider, les délais pour mener à terme le dossier et démystifier le processus judiciaire;
- Avant d’accepter le mandat, faites des vérifications préliminaires (Ex. vérifier le plumitif si le dossier est déjà judiciarisé, le nombre d’avocats vous ayant précédé, etc.);
- Assurez-vous du bien-fondé des prétentions de votre client en obtenant la documentation pertinente et le nom de témoins potentiels pouvant corroborer sa version des faits.
Si malgré les risques que cela comporte, vous décidez d’accepter le mandat :
- Circonscrivez ce dernier par écrit, d’autant plus si vous ne vous occupez que de l’un des aspects du dossier;
- Gérez les attentes du client. Il importe de le conseiller sur tous les aspects de son dossier (positifs comme négatifs). Transmettez à ce dernier une opinion écrite sur les chances de succès de l’affaire;
- Lorsque vous exprimez votre opinion, appuyez celle-ci d’exemples concrets. Demeurez le plus factuel possible. Soyez franc et direct;
- Refusez d’être « la marionnette » de votre client. Tentez de dissuader ce dernier d’intenter tout recours abusif. S’il persiste, vous devrez cesser d’occuper conformément aux règles contenues dans le Code de procédure civile et le Code de déontologie des avocats[5];
Pour conclure, les relations avec le client constituent une cause importante des réclamations au Fonds d’assurance. Sélectionner adéquatement sa clientèle, soigner ses communications et documenter ses dossiers limiteront les risques de malentendus avec vos clients.
[1] Sarah Adida, L’ultracrépidarianisme, qu’est-ce que c’est?, Passeport Santé, 7 juin 2021, en ligne : https://www.passeportsante.net/fr/psychologie/Fiche.aspx?doc=ultracrepidarianisme#:~:text=L'ultracr%C3%A9pidarianisme%2C%20c'est,est%20cependant%20tr%C3%A8s%20souvent%20pratiqu%C3%A9.
[2] Effet Dunning-Kruger, Wikipédia, en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Dunning-Kruger.
[3] L’effet Dunning-Kruger se manifeste au Gros laboratoire, Ici Explora, 14 décembre 2022, en ligne : https://ici.exploratv.ca/blogue/effet-surconfiance-psychologie-experience-dufort/.
[4] Effet Dunning-Kruger, supra, note 2.
[5] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01; Code de déontologie des avocats, RLRQ, c. B-1, r. 3.1.