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2020-05-01 Articles

Être culturellement compétent : Pourquoi est-ce important?

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Agathe, avocate spécialisée en litige, procède à un interrogatoire préalable à l’instruction. Pendant ce dernier, le témoin évite son regard et élude ses questions. En effet, Agathe peine à obtenir des réponses directes et concises. Il n’en faut pas plus pour qu’elle conclue que le témoin lui ment, mais est-ce vraiment le cas?

Plusieurs différences existent au niveau du langage, du sexe ou de la culture qui influencent la qualité de nos relations avec nos clients, nos collègues et même la partie adverse. Ces différences teintent également notre interprétation de certains comportements. Dans un contexte de mondialisation qui apporte de nombreux changements tels que l’accroissement des échanges et des liens d’interdépendance au niveau politique, social et économique, les compétences culturelles sont sans contredit des atouts majeurs que doivent posséder les avocats tout domaine de droit confondu.

Cet article poursuit trois objectifs : circonscrire les concepts de culture et compétence culturelle, transmettre des pistes de réflexion sur vos compétences culturelles ainsi que les principaux obstacles à la communication et, finalement suggérer des mesures préventives pour éviter les malentendus sous-jacents aux différences culturelles.

Culture et compétence culturelle : un brin de définition

Dans le cadre de cet article, nous adopterons une vision large du concept de culture. Plus précisément, la culture réfère à tout comportement ou valeur de l’individu en lien avec ses caractéristiques identitaires. Outre l’ethnie, nous retrouvons parmi les caractéristiques identitaires : le genre, le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle, les croyances religieuses et les habiletés intellectuelles et physiques de l’individu[1].

De même, nous entendons par compétence culturelle, la capacité d’un individu à maintenir son efficacité dans un contexte marqué par des différences culturelles ainsi que son aptitude à comprendre et s’adapter à ces différences[2]. Autrement dit, les compétences culturelles exigent non seulement une prise de conscience des différences culturelles, mais nécessitent également de s’engager activement dans des comportements d’apprentissage et d’adaptation pour maintenir de saines relations avec nos clients culturellement différents[3].

Évaluation de ma compétence culturelle

L’humain est ainsi fait que nous éprouvons une plus grande facilité à nous affilier avec les individus qui nous ressemblent. Chaque avocat possède donc son propre niveau de confort face à la diversité.

Nous vous proposons d’identifier votre stade de sensibilité interculturelle et de compétence émotionnelle à l’aide du Development Model of Intercultural Sensitivity conçu par le Dr Milton Bennett. Ainsi, le Dr Bennett a identifié les six stades de compétences culturelles suivants[4] :

1er stade : Le déni

Il s’agit de l’avocat qui éclipse la dimension culturelle de ses relations d’affaires. Il ignore les différences qui peuvent subsister eu égard aux valeurs, croyances, tabous et styles de communication. De façon générale, l’avocat qui se retrouve à ce stade éprouve de la difficulté à construire des relations de confiance avec des clients de cultures différentes. De même, les conflits et les malentendus engendrés par le manque de compréhension des différences culturelles sont plus nombreux.

2e stade : L’attitude défensive

L’avocat qui se situe à ce stade reconnaît l’existence des différences culturelles, mais appréhende ces dernières de façon négative. En d’autres mots, au lieu de chercher à comprendre les comportements qui sont différents des siens, l’avocat critique ces derniers ou porte un jugement erroné ou stéréotypé.

3e stade : La minimisation de la différence

À ce stade, l’avocat reconnaît la diversité qui existe au plan culturel et linguistique. Malgré tout, il considère ses propres valeurs et croyances comme étant universelles et supérieures à celles des autres. Dans le cadre de ses interactions avec des clients culturellement différents, il aura tendance à interpréter erronément leurs comportements ou opinions croyant à tort que les clients adhèrent à ses propres valeurs. Ainsi, l’avocat sera confronté à de nombreux obstacles de communication vu sa propension à minimiser l’importance des différences culturelles qui peuvent exister entre lui et ses clients.

4e stade : L’acceptation de la différence

L’avocat de ce stade perçoit les différences culturelles existantes et saisit l’importance d’une bonne compréhension de celles-ci pour améliorer la qualité de ses relations et l’efficacité de ses communications avec ses clients. Autrement dit, les relations entre l’avocat et ses clients culturellement différents sont empreintes de respect et exemptes de préjugés négatifs. La flexibilité et l’ouverture d’esprit dont fait preuve l’avocat lui permettent d’analyser adéquatement les besoins des clients culturellement différents.

5e stade : L’adaptation à la différence

Dans un tel cas, l’avocat perçoit non seulement les différences culturelles, mais interagit habilement au sein de ces différences. En d’autres termes, il s’adapte!

6e stade : L’intégration de la différence 

À ce stade, l’avocat est devenu un expert dans l’interprétation des comportements de ses clients, et ce, selon leur cadre culturel. Il porte une attention particulière autant au langage verbal que non verbal.

Rassurez-vous, il ne s’agit aucunement de porter un jugement de valeur sur un stade en particulier. Au contraire, identifier le stade dans lequel nous nous situons, même si ce n’est pas celui souhaité, permet de cerner nos forces et nos faiblesses. En fait, il s’agit de susciter une prise de conscience permettant de cibler les actions qui doivent être entreprises pour perfectionner nos communications avec un client culturellement différent. Ce qui nous amène à terminer cette section en vous partageant une citation de Shunmyo Masuno, prêtre bouddhiste, portant sur l’ouverture d’esprit : « À débattre sans fin sur le noir ou le blanc, vous ne voyez pas la beauté du gris ».

Les différences culturelles et les obstacles à une bonne communication[5]

Voyons trois différences culturelles susceptibles de se présenter dans votre pratique quotidienne et qui sont à l’origine de nombreux malentendus.

Culture hautement vs faiblement hiérarchique

Dans le cadre d’une rencontre visant à exposer à un client son opinion sur le dossier, Maxime éprouve de la difficulté à obtenir des instructions claires de ce dernier. Malgré les encouragements de Maxime, le client pose peu de questions se contentant d’affirmer qu’il comprend. Est-ce uniquement un client timide ou un élément culturel est en jeu?

La question est pertinente. Dans les cultures hautement hiérarchiques, un degré élevé de respect est démontré aux individus qui présentent certaines caractéristiques telles que l’âge, le sexe, l’éducation, le type d’emploi, la séniorité dans l’emploi, etc. Ainsi, par déférence, les personnes adhérant à ce type de culture parlent peu lors de réunions ou demandent la permission avant de s’exprimer. Également, elles évitent de confronter les idées d’un interlocuteur perçu comme hiérarchiquement supérieur.

À l’opposé, dans les cultures faiblement hiérarchiques, les individus entrevoient positivement la confrontation des idées dans la mesure où les opinions sont exprimées avec respect.

Mentionnons que les pays adoptant une culture faiblement hiérarchique demeurent la minorité. Le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni sont des pays dont la culture est faiblement hiérarchique.

Culture prônant les communications directes vs indirectes

Marie, une avocate en droit familial, rencontre pour la première fois une nouvelle cliente, mariée, âgée de 35 ans et ayant deux enfants. Cette dernière est arrivée au Canada il y a moins d’un an et éprouve des difficultés à s’exprimer en français. Marie perçoit de son entretien que la cliente semble être victime de violence psychologique de la part de son conjoint et qu’elle veut divorcer. Malgré une question franche et directe sur les intentions de la cliente, cette dernière a éludé la question.

La façon de communiquer diffère également d’une culture à l’autre. Pour certains, les conversations sont « enrobées » en ce sens que des métaphores, la référence à des normes culturellement partagées ou des exemples sont utilisés pour exprimer sa pensée. De fait, les cultures préconisant les communications indirectes perçoivent celles directes comme étant inappropriées ou grossières. Les cultures privilégiant une culture de communication indirecte se manifestent majoritairement dans les pays ethniquement homogènes.

À l’inverse dans les pays arborant une grande diversité, les communications ont tendance à être directes pour s’assurer que l’interlocuteur a bien saisi le sens des propos tenus. Le Canada est un excellent exemple de culture prônant une communication directe.

Culture individualiste ou collectiviste

Harold, un avocat de litige, participe à une conférence de règlement à l’amiable avec son client. Son analyse du dossier va dans l’intérêt espéré de son client et le juge semble réceptif à leur position. Malgré ses recommandations de tenter d’obtenir une compensation monétaire plus élevée, le client est plus préoccupé par l’obtention d’une lettre d’excuse et le rétablissement de la relation d’affaires avec la partie adverse.

Les cultures dites collectivistes accordent plus d’importance aux intérêts du groupe par opposition aux intérêts individuels. La recherche de la collaboration et du consensus est fréquente. Les conflits doivent être évités et la cohésion sociale est primée.

Dans les cas de cultures individualistes, la défense des droits et intérêts individuels est valorisée.

Étant sensibilisé aux différences culturelles, il est possible d’entrevoir les malentendus et les erreurs qui peuvent en découler.

Quelques mesures préventives…

Compte tenu de ce qui précède, voici quelques mesures préventives afin d’améliorer vos communications avec des clients culturellement différents :

  • Prenez conscience de vos biais et schèmes de pensées. Dans le cadre d’un entretien avec un client culturellement différent, interrogez-vous sur la signification de certains comportements et sur la façon dont votre propre cadre culturel influence votre interprétation. Évitez de tenir pour acquis qu’un geste revêt la même signification que dans votre culture. 
  • Ne sous-estimez pas le rôle du stress. L’anxiété influence négativement l’interprétation des évènements et des comportements autant chez les avocats que chez les clients. Ainsi, en période de stress, pourquoi ne pas prendre un peu de recul pour s’assurer de l’exactitude de votre interprétation et l’absence de préjugés défavorables? En ce qui concerne le client, favorisez des pauses si la conversation devient anxiogène. Ces pauses lui permettront de mieux assimiler l’information et de prendre des décisions mûrement réfléchies. 
  • Accordez suffisamment de temps au client lors de vos rencontres. Dans la planification d’une rencontre, prévoyez du temps pour répondre à l’ensemble des questions du client et dissipez les idées préconçues, le cas échéant. 
  • Pratiquez les techniques d’écoute active. Faites comprendre à votre client que vous êtes attentif à la problématique qu’il vous expose, notamment par la reformulation de certaines phrases. Dans tous les cas, il est important de réserver son jugement et valider votre compréhension. 
  • Adaptez votre langage. Deux personnes peuvent être confrontées à un problème juridique similaire, mais avoir des besoins linguistiques distincts en raison de leurs différences culturelles. La personne ayant un faible niveau d’éducation appréciera un langage clair, concis et sans jargon juridique. Inversement, le client qui est un homme d’affaires et qui en est à sa dixième transaction commerciale pourrait trouver ce langage trop simpliste. Une autre illustration est le client provenant d’une culture où la communication est indirecte. Il est plausible que ce dernier soit inconfortable avec votre franc parlé. 
  • Évitez de tenir pour acquis qu’une chose est simple et que vous n’avez pas à l’expliquer. Certains clients par peur de démontrer leur ignorance ou par déférence, ne posent aucune question. Ils affirment avoir tout compris, alors que dans les faits c’est faux! Il est donc impératif de s’assurer que le client comprend l’ensemble des informations pertinentes pour prendre des décisions éclairées dans son dossier. 
  • Encouragez le client à poser des questions. Par ses questions, le client vous fournira de précieuses indications sur sa compréhension du dossier. De son côté, il est suggéré à l’avocat de remplacer les questions dites « fermées » telles que « Avez-vous compris? » ou « Est-ce que ma stratégie vous convient? » par des questions « ouvertes » comme « Que pensez-vous de la stratégie proposée? ». 
  • Soyez proactifs. Informez-vous sur différentes cultures. À titre d’exemple, renseignez-vous sur l’étiquette d’affaires avant de participer à une rencontre impliquant des personnes culturellement différentes. 

Pour revenir à notre question de départ portant sur l’importance des compétences culturelles, il va sans dire que ces dernières demeurent essentielles pour cibler efficacement les besoins et les attentes des clients. À l’ère où la mobilité des individus et la compétitivité au sein des cabinets sont accrues, les compétences culturelles participent à un bon service à la clientèle. Il n’est donc pas superflu de réfléchir sur la manière d’améliorer ce type de compétence.

Références :

Me Nora Rock, Cultural Competence: an essential skill for success in an increasingly diverse world, Lawpro Magazine, 2014, vol. 13, nº2. Repéré à : https://www.practicepro.ca/wp-content/uploads/2017/09/2014-09-lawpro-magazine13-02-sept2014.pdf

Me Jatrine Bentsi-Enchill, Communications avec la clientèle : évaluer votre compétence interculturelle, 29 septembre 2014, EnPratique de l’ABC. Repéré à : https://www.cba.org/Publications-Resources/CBA-Practice-Link/Young-Lawyers/2014/Client-Communication-Measuring-Your-Cross-Cultural?lang=fr-ca

Serena Patel, Cultural Competency Training: Preparing Law Students for Practice in our Multicultural World, 17 octobre 2014. Repéré à : https://www.uclalawreview.org/cultural-competency-training-preparing-law-students-for-practice-in-our-multicultural-world-2/

[1] Me Nora Rock, Cultural Competence: an essential skill for success in an increasingly diverse world, Lawpro Magazine, 2014, vol. 13, nº2. Repéré à : https://www.practicepro.ca/wp-content/uploads/2017/09/2014-09-lawpro-magazine13-02-sept2014.pdf

[2] Me Jatrine Bentsi-Enchill, Communications avec la clientèle : évaluer votre compétence interculturelle, 29 septembre 2014, EnPratique de l’ABC. Repéré à : https://www.cba.org/Publications-Resources/CBA-Practice-Link/Young-Lawyers/2014/Client-Communication-Measuring-Your-Cross-Cultural?lang=fr-ca

[3] Me Nora Rock, préc., note 1.

[4] La description des stades mentionnée ci-dessus est inspirée du texte de Me Jatrine Bentsi-Enchill, Communications avec la clientèle : évaluer votre compétence interculturelle, 29 septembre 2014, EnPratique de l’ABC. Repéré à : https://www.cba.org/Publications-Resources/CBA-Practice-Link/Young-Lawyers/2014/Client-Communication-Measuring-Your-Cross-Cultural?lang=fr-ca.

[5] La description des principaux obstacles mentionnés dans cet article est inspirée du texte de Me Nora Rock, Cultural Competence: an essential skill for success in an increasingly diverse world, Lawpro Magazine, 2014, vol. 13, nº2. Repéré à : https://www.practicepro.ca/wp-content/uploads/2017/09/2014-09-lawpro-magazine13-02-sept2014.pdf