2021-12-01 Articles
L’effet de dilution : Privilégiez la qualité et non la quantité
1er décembre 2021
Dans le cadre d’une plaidoirie, vous décidez de présenter un argument alors que vous savez qu’il est plus faible que les autres. Vous estimez qu’en ayant plus d’arguments vous augmentez vos chances de convaincre le juge, mais est-ce vraiment le cas? Est-ce que cette façon de faire sert les intérêts du client?
À en croire les propos tenus par Niro Sivanathan, professeur et chercheur à la London Business School, la réponse à ces questions est non! Plus particulièrement, dans une conférence TED intitulée The counterintuitive way to be more persuasive, M. Sivanathan nous met en garde contre un biais de jugement nommé l’effet de dilution.
Dans cet article, nous définirons l’effet de dilution et traiterons de ses répercussions dans la pratique du droit. Enfin, nous explorerons quelques pistes de réflexion pour tirer profit de l’effet de dilution et améliorer notre pratique.
Qu’est-ce que l’effet de dilution?
L’effet de dilution se manifeste lorsqu’une personne doit soupeser plusieurs informations, certaines étant pertinentes au jugement à porter alors que d’autres ne le sont pas. Dans ce cas, la présence d’informations non pertinentes dilue ou affaiblit l’importance accordée aux informations pertinentes.
Par ailleurs, il semble que la capacité à distinguer les deux (2) types d’informations (pertinentes vs non pertinentes) ne puisse empêcher la survenance de l’effet de dilution. Aussi, même si la personne sait que certaines informations dont elle dispose ne sont pas pertinentes au jugement à porter, ces informations influencent tout de même son raisonnement.
L’explication psychologique la plus robuste pour expliquer ce biais est l’effet de moyenne. Plus particulièrement, lorsque vous recueillez des informations en vue de prendre une décision ou poser un jugement, votre cerveau attribue à chacune des informations un score pondéré. Par la suite, il fait la moyenne de ces scores. Contrairement à ce que vous pourriez penser, le cerveau n’additionne pas les scores attribués à chaque information. Appliquée au droit, cette explication signifie que lorsque vous introduisez des arguments faibles dans une plaidoirie ou une négociation, ces arguments diminuent le poids global qu’accordera un juge ou la partie adverse à votre argumentation.
À titre d’exemple, dans leur étude menée auprès de 3 059 Américains, M. Sivanathan et son étudiant au doctorat Hemant Kakkar ont découvert l’existence d’un effet de dilution en matière de publicité pour des médicaments. À travers diverses expériences, ils ont présenté le même médicament à deux (2) groupes de participants. Le premier groupe recevait une liste décrivant tous les effets secondaires (majeurs et mineurs) du médicament alors que le deuxième groupe recevait une liste où seuls les effets secondaires majeurs y étaient décrits. Les chercheurs ont trouvé que les participants ayant reçu la liste contenant tous les effets secondaires (majeurs et mineurs) évaluaient la gravité globale de ces effets de manière significativement inférieure à leurs homologues ayant reçu la liste contenant uniquement les effets secondaires majeurs. De même, ceux ayant reçu la liste indiquant tous les effets secondaires (majeurs et mineurs) éprouvaient une plus grande attirance pour la consommation de ce médicament et étaient disposés à payer plus cher pour l’acquérir. Pourtant, les effets secondaires majeurs étaient les mêmes dans les deux listes. Il ressort de ce qui précède que les effets secondaires mineurs diluaient les effets secondaires majeurs affectant donc l’évaluation de la gravité de ces effets.
Un second exemple de l’effet de dilution a été observé dans le secteur financier. Plus précisément, des études portant sur les audits financiers ont révélé que les auditeurs étaient affectés par ce biais de jugement en évaluant le risque que les dossiers de l’entreprise auditée contiennent des inexactitudes. Les études ont montré que le jugement des auditeurs était influencé par des informations non pertinentes comme le secteur d’activité de l’entreprise. Cette information non pertinente réduisait le poids accordé à une information pertinente telle que les erreurs antérieures contenues dans les dossiers audités de l’entreprise.
Répercussions dans la pratique du droit
Appliqués au droit, ces exemples suggèrent d’une part que les avocats ne seraient pas à l’abri de l’effet de dilution, notamment lorsqu’ils évaluent les chances de succès de leurs dossiers. L’effet de dilution pourrait influencer l’exactitude de l’évaluation des avocats et par conséquent, la qualité des conseils prodigués à leurs clients.
D’autre part, l’effet de dilution a des implications importantes sur la capacité des avocats d’influencer des juges ou la partie adverse. D’ailleurs, le postulat de la conférence de M. Sivanathan est que vous n’améliorez pas la qualité d’une argumentation tout simplement en augmentant la quantité d’arguments que vous faites valoir.
Pistes de réflexion pour améliorer votre pratique
Au vu de ce qui précède, voici trois (3) astuces pour tirer profit de l’effet de dilution dans votre pratique :
- En début de dossier, assurez-vous de récolter l’ensemble des preuves et des faits pertinents et de les examiner avec la même rigueur. À cet égard, l’utilisation d’un canevas avec la théorie de la cause propre au dossier peut vous assister dans la collecte d’informations et vous aider à départager ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas. Ainsi, l’exactitude de votre analyse quant aux chances de succès d’un dossier n’en sera que renforcée;
- Lorsque vient le moment de préparer un procès ou une négociation, ciblez les deux (2) ou trois (3) arguments les plus pertinents. Votre stratégie de plaidoirie ou de négociation devrait s’articuler sur ces arguments. Un avocat qui identifie les arguments réellement pertinents à sa cause est plus susceptible de satisfaire les besoins de ses clients qu’un avocat qui se lance dans des sagas judiciaires et invoque toute sorte d’arguments sans atteindre d’objectifs satisfaisants. De telles sagas judiciaires peuvent faire perdre temps et argent aux clients qui s’en trouveront forcément mécontents. Ajoutons que si un client insiste pour qu’un argument soit plaidé bien que vous lui ayez émis l’opinion que l’argument est faible, mettez cette opinion par écrit et transmettez-en une copie à votre client.
- Enfin, si vous croyez que tous vos arguments sont percutants ou si vous doutez de la pertinence d’un élément dans l’évaluation des chances de succès d’un dossier, prenez du recul et consultez un collègue. Exposez-lui votre plaidoirie, votre stratégie de négociation ou votre opinion sur les chances de succès du dossier. Cela vous permettra d’obtenir une opinion objective sur les forces et les faiblesses du dossier.
En terminant, l’effet de dilution nous enseigne que la qualité doit primer sur la quantité. Misez sur les arguments forts dans vos dossiers et offrez ainsi un meilleur service à vos clients!
Références :
Australian National University, “Bias: Dilution Effect”, Integration & Implementation Sciences, Février 2021, en ligne : https://i2s.anu.edu.au/resources/bias-dilution-effect.
Sivanathan, N. et Kakkar, H. “The unintended consequences of argument dilution in direct-to-consumer drug advertisements”. Nat Hum Behav 1, 797-802 (2017). https://doi.org/10.1038/s41562-017-0223-1.
Sivanathan, N. “The counterintuitive way to be more persuasive”, Conférence TEDxLondonBusinessSchool, Janvier 2021, en ligne : The counterintuitive way to be more persuasive
“Dilution Effect Definition”. Psychology Research and Reference. En ligne : http://psychology.iresearchnet.com/social-psychology/social-cognition/dilution-effect/.