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2020-04-27 Articles

La suspension des délais en matière civile : Petits rappels sur la computation des délais pour éviter des surprises

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Le 15 mars 2020, l’Arrêté no 2020-4251 de la juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice (ci-après l’« Arrêté ») a entraîné la suspension des délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile jusqu’à l’expiration de la période de déclaration d’état d’urgence sanitaire prévue par le décret no 177-2020 du 13 mars 2020, ainsi que les délais de procédure civile, à l’exception des affaires jugées urgentes par les tribunaux[1]. Enfin, en cas de renouvellement de la déclaration d’état d’urgence sanitaire, les mesures prévues à l’Arrêté sont renouvelées pour une période équivalente. Au moment d’écrire la présente, la déclaration d’état d’urgence sanitaire a été renouvelée jusqu’au 29 avril 2020[2].

Ceci dit, la suspension des délais découlant de l’Arrêté n’est pas sans susciter des interrogations au niveau de la computation des délais. Aussi, nous vous proposons un rappel des règles en la matière ainsi que certaines mesures préventives pour éviter les erreurs dues au non-respect des échéances.

Délais visés par l’Arrêté 

L’Arrêté précise la nature des délais visés par la suspension. Nous nous attarderons donc à définir brièvement ces derniers.

Tout d’abord, nous retrouvons les délais de prescription extinctive. L’article 2921 du Code civil du Québec définit la prescription extinctive de la manière suivante :

‍« 2921. La prescription extinctive est un moyen d’éteindre un droit par non-usage ou d’opposer une fin de non-recevoir à une action »[3].

Quant aux délais de déchéance, également concernés par l’Arrêté, la doctrine soulève la difficulté de distinguer ce type de délais de ceux de la prescription extinctive[4].

Ceci dit, Me Stéphanie Fortier-Dumais avance la distinction suivante :

« La prescription extinctive n’entraîne pas l’abrogation du droit de celui contre qui on a prescrit. Elle a seulement pour effet d’empêcher ce dernier d’invoquer civilement les droits qu’il a laissé prescrire. Une déchéance de recours va plus loin : elle ne fait pas qu’empêcher la possibilité d’invoquer des moyens de droit, elle entraîne aussi la perte du droit lui-même » [5].

En plus, ajoutons que contrairement aux délais de prescription extinctive, les délais de déchéance sont soulevés d’office par le tribunal, ils ont un caractère d’ordre public et doivent être expressément prévus par la loi[6].

Enfin, les délais procéduraux sont ceux inhérents aux dossiers litigieux et judiciarisés. Ils sont entre autres prévus au Code de procédure civile, au protocole de l’instance et dans les règlements des tribunaux.

La computation des délais

En ce qui concerne les délais de prescription, ce sont les articles 2879 et 2880 du Code civil du Québec qui expliquent la manière de calculer le délai de prescription ainsi que son point de départ. Ces articles mentionnent :

« 2879. Le délai de prescription se compte par jour entier. Le jour à partir duquel court la prescription n’est pas compté dans le calcul du délai.

La prescription n’est acquise que lorsque le dernier jour du délai est révolu. Lorsque le dernier jour est un samedi ou un jour férié, la prescription n’est acquise qu’au premier jour ouvrable qui suit »[7]. 

« 2880. La dépossession fixe le point de départ du délai de la prescription acquisitive.

Le jour où le droit d’action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive »[8].

Plusieurs des délais en matière de prescription se retrouvent au Livre huitième du Code civil du Québec. Cela dit, il convient de mentionner que certains délais de prescription sont prévus dans d’autres sections du Code civil du Québec de même que dans certaines lois particulières. Par conséquent, il est impératif de vous assurer d’identifier le bon délai de prescription. En matière de prescription, une deuxième vérification n’est pas de trop!

Enfin, pour ce qui est du calcul des délais procéduraux, l’article 83 du Code de procédure civile mentionne :

« 83. Lorsqu’un acte ou une formalité doit être accompli dans un délai fixé par le Code, imparti par le tribunal ou convenu entre les parties, le délai court à compter de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui en est la source.

Le délai se compte par jour entier ou, le cas échéant, par mois. Lorsque le délai est exprimé en jours, le jour qui marque le point de départ n’est pas compté mais celui de l’échéance l’est. Lorsqu’il est exprimé en mois, le délai expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que l’acte, l’événement, la décision ou la notification qui fait courir le délai; à défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois.

Le délai expire le dernier jour à 24 h 00; celui qui expirerait normalement un samedi ou un jour férié est prolongé au premier jour ouvrable qui suit »[9].

Les effets de la suspension sur le calcul des délais

En ce qui concerne les délais de prescription et de déchéance, « la suspension ne fait qu’arrêter temporairement la computation du délai. Aussi, lorsque la cause de la suspension disparaît, le calcul reprend où il s’est arrêté au moment de l’apparition de la raison justifiant la suspension »[10]. Autrement dit, il faudra ajouter à votre délai autant de jours que ceux écoulés durant la période de l’Arrêté.

À titre d’exemple et sous réserve des règles et directives additionnelles que pourraient adopter les tribunaux, si la durée de l’Arrêté est de 60 jours et que l’échéance de votre délai de prescription est le 29 juin 2020, alors vous bénéficierez d’une prolongation de délai jusqu’au 28 août 2020 pour déposer votre Demande introductive d’instance (29 juin 2020 + 60 jours).

Pour ce qui est de la suspension des délais procéduraux, elle sous-entend la suspension des instances jugées non-urgentes. Malgré tout, il convient de préciser que le 9 avril 2020, la Cour supérieure du Québec, division de Québec a émis un communiqué qui mentionne notamment :

« Les procureurs sont fortement encouragés, malgré la suspension des délais, à faire progresser leurs dossiers et protocoles : entre autres mesures, les avocats sont invités à convertir en tout ou en partie les interrogatoires oraux en interrogatoires écrits, sans égard aux mentions faites au protocole de l’instance »[11].

Ainsi, peu importe le district, on ne peut qu’encourager les avocats à envisager des méthodes alternatives afin de faire progresser leurs dossiers et par conséquent, contribuer à diminuer les inconvénients subis par leurs clients découlant de l’état d’urgence sanitaire.

Quelques mesures préventives

Nous avons donc présenté les règles en matière de computation des délais et l’effet de la suspension sur ces derniers. Voyons à présent quelques mesures préventives :

  1. État d’urgence sanitaire ou pas, il n’est pas superflu de réviser périodiquement chacun de nos dossiers pour nous assurer d’avoir bien noté le délai de prescription ou les délais procéduraux auxquels nous sommes astreints.

  2. Portez attention au calcul du temps écoulé pendant l’Arrêté.

    Ceci vous permettra d’identifier les nouveaux délais de prescription, de déchéance et procéduraux auxquels seront soumis vos dossiers suite à la levée de l’Arrêté.

    N’oubliez pas de les noter à l’agenda et dans le cas des délais de prescription, assurez-vous qu’ils se retrouvent au registre des prescriptions de votre cabinet. Enfin, informez vos clients des nouvelles échéances.

  3. Vérifiez les directives particulières émises par les tribunaux afin de vous assurer des délais, des procédures et demandes qui demeurent traitées et des modalités pour les présenter.

  4. N’attendez pas la dernière journée pour intenter un recours. En effet, il est important de garder une marge de manœuvre pour les imprévus.

  5. Faites progresser vos dossiers :

    • Déposez les procédures qui peuvent l’être afin de préserver les droits de vos clients.
    • Revoyez vos protocoles de l’instance et discutez avec vos collègues pour identifier certaines étapes qui peuvent être menées à terme malgré l’état d’urgence sanitaire.
    • Envisagez le recours à des moyens technologiques, tels que la visioconférence pour compléter vos interrogatoires. Évidemment, au préalable, vérifiez le caractère sécuritaire et confidentiel du moyen technologique utilisé.
    • Profitez du ralentissement pour mettre à jour vos opinions ou revoir les stratégies adoptées dans certains dossiers.
    • Votre proactivité permettra de limiter la surcharge de travail lors de la reprise normale des activités judiciaires.

    Enfin, rappelons que le non-respect des délais est parmi les reproches les plus fréquemment allégués dans les réclamations formulées contre les assurés.  En cette période exceptionnelle, demeurons alertes et rigoureux pour nous assurer de bien identifier nos délais et ainsi, repartir du bon bien lorsque l’état d’urgence sanitaire sera terminé.

    [1] Pour déterminer ce qui constitue une affaire urgente, nous vous invitons à consulter le site Internet de la Cour supérieure à l’adresse suivante : http://www.tribunaux.qc.ca/c-superieure/index-cs.html, le site Internet de la Cour du Québec : http://www.tribunaux.qc.ca/c-quebec/codiv19/fs_covid19.html ainsi que le site Internet de Services Québec : http://www.fil-information.gouv.qc.ca/Pages/Article.aspx?idArticle=2803139851.

    [2] Décret nº478-2020 du 22 avril 2020 concernant le renouvellement de l’état d’urgence sanitaire conformément à l’article 119 de la Loi sur la santé publique : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/lois-reglements/decret-478-2020.pdf?1587599123

    [3] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 2921.

    [4] Stéphanie Fortier-Dumais, « La prescription », dans École du Barreau, Collection de droit 2019-2020,        vol. 5 « Responsabilité », Cowansville, Yvon Blais, 2019, 253, p. 255.

    [5] Id.

    [6] Code civil du Québec, préc., note 3, art. 2878.

    [7] Id., art. 2879.

    [8] Id., art. 2880.

    [9] Code de procédure civile du Québec, RLRQ, c. C-25.01.

    [10] Stéphanie Fortier-Dumais, préc., note 4, p. 263. Voir aussi Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd. Volume 1 – Principes généraux, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1-1326.

    [11] Communiqué – Version 06 de la Cour supérieure du Québec, division de Québec du 9 avril 2020 : https://www.barreau.qc.ca/media/2377/20200409-message2-cour-superieure-division-quebec.pdf.