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2020-01-03 Articles

Marika : Les deux pieds dans l'eau

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Janvier 2020

Péripéties d'une jeune avocate pas comme les autres!

                        Marika : Les deux pieds dans l'eau

Par une belle journée du mois d’août 2016, Marika profite de ses dernières journées de vacances pour respirer l’air salin du fleuve. En vacances au chalet familial à Charlevoix, Marika décide, avec son amie d’enfance Sophie, qu’elles feront le lendemain une croisière pour admirer les baleines.

Le lendemain matin, munies de leur lunette longue vue, les deux amies embarquent sur le bateau devant les mener jusqu’aux majestueux mammifères marins. Alors qu’elles naviguent depuis un bon moment, Sophie se rend aux toilettes et trébuche sur un réservoir d’essence portatif laissé sur le pont. Étendue de tout son long, elle sent immédiatement une douleur intense irradier sa jambe. Vu la gravité de la blessure, le capitaine décide de faire demi-tour. Sophie est transportée rapidement à l’hôpital où le médecin constate une fracture de la cheville. À sa sortie de l’hôpital, Sophie est en colère et fait part à Marika que le propriétaire du bateau a été négligent en laissant un réservoir d’essence sur le pont. Étant professeur d’éducation physique, sa blessure risque de retarder sa rentrée scolaire et elle en subira une perte de revenus. Marika suggère donc à son amie de poursuivre le propriétaire du bateau et lui offre de s’en charger personnellement. Après tout, elle s’est déjà occupée d’un dossier de blessures corporelles où elle poursuivait une école pour des blessures subies par un enfant. Elle se dit que ce dossier est similaire et que les derniers mois l’ont bien préparée à mener à terme ce nouveau dossier. Elle fait donc part à Sophie de la nécessité d’obtenir une expertise portant sur son incapacité due à sa fracture afin de déterminer les dommages qui pourraient être réclamés. Elle rassure son amie en lui mentionnant que de toute façon elles ont amplement le temps d’obtenir cette expertise. De son côté, Marika se chargera de transmettre rapidement une mise en demeure au propriétaire du bateau afin de valider si un règlement est possible.

Une semaine plus tard, Marika retourne au travail et annonce fièrement à Me Pagé qu’elle a déniché une nouvelle cliente pour le cabinet et lui explique sa récente mésaventure. Me Pagé lui rappelle de noter le dossier au registre des prescriptions du cabinet. Comme à l’habitude, il lui réitère qu’il demeure disponible pour toute question sur cette nouvelle affaire. Marika demande donc à son assistante de noter le 19 août 2019 comme date de prescription au registre. Par la suite, elle envoie la mise en demeure au propriétaire du bateau. Rapidement, l’assureur de ce dernier communique avec elle. Il lui demande le dossier médical de Sophie et affirme que sans expertise, aucune indemnisation ne sera possible. Voulant éviter des frais à son amie, Marika décide d’attendre que cette dernière soit expertisée avant d’effectuer toute nouvelle démarche auprès de l’assureur.

Entre temps, Sophie souffre de plusieurs complications et sa cheville ne guérit pas comme prévu. Plusieurs chirurgies s’avèreront nécessaires pour corriger la situation. Ce n’est qu’en septembre 2018 que Marika transmet finalement à l’assureur une expertise portant sur l’incapacité totale temporaire ainsi que l’incapacité partielle permanente de son amie.

Promptement, l’assureur communique avec Marika pour lui faire part du fait qu’il n’entend pas donner suite à la demande d’indemnisation considérant la prescription du recours. Plus particulièrement, il la réfère au délai de prescription de deux (2) ans prévu à la Loi sur la responsabilité en matière maritime[1] ainsi qu’à l’article 16 de la Convention d’Athènes de 1974.

À la suite d’une recherche jurisprudentielle de plusieurs heures, Marika se rend à l’évidence, le recours de son amie est bien prescrit. En désespoir de cause, elle informe Me Pagé de la situation pensant qu’il pourrait la sortir de ce mauvais pas. Malheureusement pour elle, Me Pagé, mécontent, lui confirme ses plus grandes craintes.

Marika se résout donc à appeler son amie pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Après plusieurs minutes, la conversation se termine en queue de poisson. Sophie raccroche la ligne en ajoutant qu’elle venait de perdre une amie. Piteuse, puisqu’elle voulait pourtant bien faire, Marika remplit sa Déclaration de l’assurée qu’elle envoie au Fonds d’assurance.

Note

À retenir : Manquer un délai de prescription est sans doute l’un des pires cauchemars pour un avocat. Ici, Marika est tombée dans certains pièges de la pratique : représenter l’une de ses bonnes amies l’a amenée à prendre un dossier pour lequel elle n’avait pas l’expertise. Elle a également omis de faire certaines vérifications voulant lui éviter des frais. Elle a tenu pour acquis que le délai de prescription était le délai commun de trois (3) ans prévu à l’article 2925 du Code civil du Québec. Aussi, il n’est pas inutile de rappeler que la vérification du droit applicable et le délai de prescription y étant lié doivent impérativement être validés à chaque ouverture de dossier. En terminant, il y a des risques à représenter un parent ou un ami (client fantôme), d’autant plus que notre expérience au Fonds d’assurance démontre qu’ils n’hésiteront pas à vous poursuivre si vous commettez une erreur ou une omission dans leur dossier.

Réfléchissez donc deux fois avant d’accepter un tel mandat!