2020-04-01 Articles
Marika : Une confusion qui coûte cher - Interruption de la prescription vs demande périmée
Avril 2020
Marika : Péripéties d’une jeune avocate pas comme les autres!
Marika : Une confusion qui coûte cher
Interruption de la prescription vs demande périmée
C’est lundi et Marika revient d’un weekend de pêche où elle a surtout entretenu son bronzage au grand désarroi de son père. Ceci dit, elle a tout de même fait quelques belles prises et pourra impressionner ses amies en leur servant son fameux filet de truite sauce au citron et marjolaine. Alors qu’elle entre dans son bureau, elle remarque un nouveau dossier. Décidément, alors que certains profitent du weekend pour régénérer leurs batteries, d’autres, dont Me Pagé, l’avocat sénior du cabinet, s’occupent à trouver de nouveaux clients. Marika fait une petite moue, repousse cette pensée et va chercher son café avant d’ouvrir le dossier. Il s’agit d’un cas de vices cachés, ses dossiers préférés.
Le lendemain, Marika rencontre les clients. Ils lui expliquent que deux ans et demi plus tôt, ils ont acquis une résidence et ont rapidement découvert qu’elle était affectée de nombreux vices. À l’époque, un avis de dénonciation avait été transmis aux vendeurs, mais ces derniers avaient refusé d’assumer le coût des travaux correctifs. En désespoir de cause, les clients s’étaient résignés à payer ces frais. Ceci dit, après plusieurs discussions avec des membres de leur famille, les clients mentionnent à Marika être bien décidés à récupérer leur argent. Marika leur explique verbalement qu’elle aura besoin de l’ensemble des factures des travaux correctifs. Elle leur demande également de lui envoyer des photos des vices et des travaux correctifs puisqu’elle validera la possibilité d’obtenir une expertise sur la base de ces photographies. Elle leur indique, toujours verbalement, qu’ils devront faire preuve de célérité puisque le délai de prescription en matière de vices cachés est de 3 ans.
Malheureusement pour Marika, ses clients sont loin d’être des modèles d’organisation et de proactivité. Hormis les photos déjà transmises, ils lui envoient leurs factures au compte-gouttes et lui expliquent devoir faire des démarches auprès de leur entrepreneur pour obtenir certaines factures manquantes. Quant à l’expert retenu pour se prononcer sur l’existence des vices et leur caractère caché, celui-ci pourra transmettre son expertise peu de temps avant l’échéance du délai de prescription. Cela dit, son opinion préliminaire est à l’effet que certains vices étaient apparents.
C’est ainsi qu’à une semaine de l’échéance de la date de prescription, Marika reçoit l’expertise et les dernières factures appuyant le quantum réclamé. Elle se dépêche donc de rédiger la Demande introductive d’instance. Toutefois, les clients l’informent qu’ils ont avisé leurs vendeurs de la préparation de la procédure ce qui a déclenché des discussions de règlement. Vu ce qui précède, Marika décide de faire timbrer l’action pour interrompre la prescription et sauvegarder les droits de ses clients. Se basant sur l’article 107 al. 3 du Code de procédure civile[1], elle met un rappel à son agenda pour signifier la procédure dans les trois mois suivant le dépôt.
Les semaines passent, mais le dossier ne se règle pas. À l’approche de l’échéance de son délai, Marika signifie la demande. Une réponse ne tarde pas à être produite et rapidement l’avocat des vendeurs communique avec Marika. Il l’informe de son intention de notifier une Demande en irrecevabilité pour cause de prescription. Abasourdie, Marika lui répond qu’il fait erreur et invoque le délai de 3 mois prévu à l’article 107 al. 3 du C.p.c.. Mal à l’aise, l’avocat la réfère à l’article 2892 du Code civil du Québec[2] (C.c.Q.) qui prévoit l’interruption de la prescription si la Demande introductive d’instance est signifiée au plus tard dans les 60 jours de l’expiration du délai de prescription. Malgré tout, il indique à Marika que ses clients sont disposés à consentir à un désistement sans frais si un terme est rapidement mis aux procédures. Marika balbutie quelques mots et de façon presque inaudible mentionne qu’elle obtiendra les instructions de ses clients.
Après une recherche jurisprudentielle infructueuse, Marika se rend à l’évidence : le dossier est prescrit! Elle se traîne jusqu’au bureau de Me Pagé et lui explique la situation. Les clients sont avisés, et suite aux explications de Me Pagé, consentent à se désister de leur Demande introductive d’instance. Rapidement, par la suite, un avis de réclamation est déposé au Fonds d’assurance par les clients.
[1] RLRQ, c. C-25.01.
[2] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 2892.
Note
À retenir : Dans le cas qui nous occupe, Marika a confondu l’article 2892 du C.c.Q. avec l’article 107 al. 3 du C.p.c. L’article 2892 du C.c.Q. traite de la prescription et notamment de l’interruption civile de la prescription par le dépôt d’une Demande introductive d’instance et de sa signification, et ce, à certaines conditions. Plus particulièrement, les frais de la demande en justice prévus au Tarif judiciaire en matière civile doivent avoir été acquittés et la Demande introductive d’instance doit avoir été signifiée au plus tard dans les 60 jours qui suivent l’expiration du délai de prescription.
Quant à l’article 107 al. 3 du C.p.c., il ne concerne pas la prescription mais plutôt la péremption de l’instance. Il prévoit que la Demande introductive d’instance devient périmée si elle n’est pas notifiée dans les 3 mois suivant son dépôt. La réception de cette demande n’est complétée qu’une fois les frais judiciaires payés . Ainsi, à défaut de notifier la demande introductive dans le délai de 3 mois, cette dernière sera considérée périmée et une nouvelle Demande introductive d’instance accompagnée des frais judiciaires sera nécessaire pour ouvrir un nouveau dossier de Cour. Selon les Commentaires de la ministre de la Justice portant sur l’article 107 al. 3 du C.p.c., cette disposition vise tout simplement à faciliter la gestion du greffe en ce que la preuve de signification doit être rapportée au greffe dans les 3 mois suivant le dépôt de la Demande introductive d’instance, à défaut, la demande devient périmée.
Ainsi, l’article 107 al. 3 du C.p.c. ne vient pas faire échec à l’article 2892 du C.c.Q. qui demeure l’article applicable en matière d’interruption de la prescription.
Enfin, rappelons l’importance de documenter par écrit votre dossier quant aux mises en garde portant sur les délais, dont le délai de prescription. Également, informez par écrit le client des documents qu’il doit fournir ou des actes à accomplir ainsi que les délais pour ce faire. Ici, Marika n’a pas su être ferme avec ses clients pour les amener à communiquer plus rapidement les pièces justificatives au soutien de leur demande. Cela a contribué, en partie, à la rédaction à la dernière minute de la Demande introductive d’instance et la situation regrettable qui s’en est suivie.
Note : En cette période de pandémie COVID-19, rappelons également l’Arrêté no 2020-4251 du 15 mars 2020 de la juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice (l’Arrêté) à l’effet que les délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile sont suspendus jusqu’à l’expiration de la période de déclaration d’état d’urgence sanitaire prévue par le décret no 177-2020 du 13 mars 2020, ainsi que les délais de procédure civile, à l’exception des affaires jugées urgentes par les tribunaux.
Dans cet Arrêté du 15 mars 2020, il y est également prévu qu’en cas de renouvellement de la déclaration d’état d’urgence sanitaire prévue par le décret no 177-2020 du 13 mars 2020, les mesures prévues par cet arrêté sont renouvelées pour une période équivalente.
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