2021-09-01 Articles
Risques liés à de longues années d’expérience
1er septembre 2021
En 2017, selon l’Édition spéciale du Barreau-mètre – La profession en chiffres : Sous la loupe des barreaux de section 2017, 10 % des avocats avaient 65 ans et plus.[1] De même, près de 30 % des membres du Barreau du Québec avaient plus de 25 années de pratique.[2] En plus, sachant que les données démographiques indiquent un vieillissement de la population, il est raisonnable de penser que ce vieillissement se reflètera également dans notre profession. Par ailleurs, de façon générale, les « baby-boomers » optent souvent pour une carrière plus longue que leurs prédécesseurs (génération silencieuse 1925-1942).
À la lumière de ces données, l’objectif de cet article est de survoler quelques-uns des risques liés au vieillissement des avocats dans un contexte où leur entourage se fait également vieillissant et où l’environnement évolue. Par la suite, nous traiterons des mesures préventives et des ressources pour bien gérer ces risques.
La maladie ou le décès
Malheureusement, les maladies physiques ou neurologiques peuvent frapper un avocat.
Aussi, il est de votre responsabilité de vous assurer qu’en cas d’absence de votre cabinet, celle-ci ne cause pas de tort à vos clients, votre famille et votre entreprise.
Relativement aux maladies, ces dernières peuvent compromettre le respect de certaines obligations déontologiques. Ainsi, rappelons que le Code de déontologie prévoit entre autres que l’avocat s’abstient d’exercer ses activités professionnelles dans un état ou dans des conditions susceptibles de compromettre la qualité de ses services.[3] L’avocat a notamment des devoirs de compétence, de prudence et de diligence envers son client.[4]
Mesures préventives :
- Assurez-vous d’avoir un plan de continuité de vos affaires en cas d’absences de courte ou de longue durée. À ce sujet, consultez les articles intitulés A (H1N1) Avez-vous oublié votre mot de passe? et COVID-19 (Coronavirus) : Quel est votre plan de continuité? auxquels vous pourrez apporter les adaptations nécessaires. Dans la même veine, Lawyers’ Professional Indemnity Company (LawPro) a également publié un guide portant sur la gestion des interruptions de la pratique.
- Planifiez votre retraite et préparez votre relève. À cet égard, utilisez le guide du Barreau du Québec intitulé Êtes-vous prêt? 25 Questions pour évaluer la planification de votre retraite.
- Soyez à l’affut des signes précurseurs de maladies neurologiques. Le texte de Me Guylaine LeBrun et Me Martin F. Sheehan (maintenant juge à la cour supérieure) paru dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire et intitulé Alzheimer, troubles cognitifs et vieillissement : l’impact sur la responsabilité professionnelle traite de ces signes précurseurs en plus de formuler des mesures préventives visant à atténuer les risques liés à ces maladies.
- Existe également l’épineuse question : Comment agir si vous constatez qu’un collègue exerce dans un état de santé susceptible de causer un préjudice grave à un client? À ce sujet, l’article 134 du Code de déontologie énonce l’obligation d’aviser le syndic du Barreau.[5]
- Enfin, documentez vos dossiers. Cela permettra à l’avocat qui héritera de ces derniers de savoir à quelle étape chacun d’entre eux est rendu, mais aussi quelle était votre vision, les conseils prodigués à vos clients et les instructions de ceux-ci.
L’évolution technologique
La technologie évolue continuellement et transforme la pratique du droit. Il peut donc arriver de se sentir dépassé par cette dernière. Toutefois, le Code de déontologie impose aux avocats de maintenir à jour leurs connaissances relativement aux technologies de l’information qu’ils utilisent dans le cadre de leurs activités professionnelles.[6] Par ailleurs, leur utilisation contribue à offrir des services de qualité dans un contexte où les clients sont de plus en plus exigeants sur la rapidité et les coûts rattachés aux services juridiques.
Mesures préventives :
- Le mentorat inversé : Vous connaissez? Il s’agit du titre de notre capsule vidéo publiée le 15 décembre 2020 sur notre Blogue Maîtres@droits! Dans ce type de mentorat, un avocat junior est jumelé avec un avocat sénior afin de lui transmettre des connaissances ou des compétences. Autrement dit, l’avocat junior est le mentor et l’avocat sénior est le mentoré. Ayant grandi à l’ère numérique, les avocats juniors peuvent certainement vous apporter des perspectives et des connaissances quant à l’utilisation des technologies.
- En outre, envisagez de suivre de la formation sur certains logiciels vous permettant d’améliorer votre offre de services.
L’évolution juridique
Se fier indûment à son expérience pour mener à terme ses mandats comporte le risque de ne pas être à jour dans son champ de pratique usuel. Dans un tel contexte, des fautes peuvent être commises parce que l’avocat ignore une décision changeant l’état du droit ou encore, parce qu’il n’est pas au courant d’un changement législatif. Or, le Code de déontologie est clair : L’avocat doit développer et maintenir à jour ses connaissances et ses habiletés.[7]
Mesures préventives :
- Assurez-vous de suivre sur une base régulière de la formation touchant votre champ de pratique. Ajoutons que certaines formations du Fonds d’assurance sont disponibles sur Web-pro dans le Catalogue FARPBQ à l’adresse suivante : https://webpro.barreau.qc.ca/formations-farpbq.html.
- Plusieurs banques de jurisprudence numériques offrent la possibilité de recevoir les décisions récentes dans divers domaines ou vous envoient des notifications pour vous informer de l’existence de telles décisions. N’hésitez donc pas à utiliser ces fonctionnalités pour demeurer informé.
Le fossé intergénérationnel
Depuis quelques années, les articles et les formations portant sur la gestion des millénariaux en contexte de travail se multiplient. Cette génération peut avoir des attitudes, des valeurs et des priorités différentes des vôtres. Or ces différences s’accompagnent parfois de malentendus, de problèmes de communication ou de conflits.
Mesures préventives :
- Évitez de sauter trop rapidement aux conclusions. Cherchez à établir le dialogue afin de mieux comprendre la vision ou les attitudes de vos jeunes collaborateurs.
- Suivez une formation sur la gestion de ces fossés intergénérationnels et apprenez à tirer parti des différences de chacune des générations. Nul doute que l’harmonie qui existe au sein d’une équipe se reflète dans la qualité des services offerts aux clients. Cela contribue aussi à la rétention de votre relève.
- Enfin, consultez l’article de Nora Spinks dans LawPro intitulé Leveraging generational diversity in law.
Les clients vieillissants
Au fur et à mesure que vous vieillissez, vos clients vieillissent aussi. Bien que les relations de longue durée et privilégiées avec vos clients peuvent limiter les risques d’être l’objet d’une poursuite, il n’en demeure pas moins que certains éléments méritent votre attention :
- Diminution des capacités mentales du client : Cette diminution peut s’accompagner d’oublis sur les conseils prodigués par l’avocat et les instructions données à celui-ci. Il peut aussi régner une confusion chez le client quant aux dates pertinentes pour accomplir certaines tâches.
- Maladies potentiellement mortelles inattendues : Pensons au cas où l’avocat rédige à la hâte un testament afin d’éviter que son client ne décède ab intestat.
- Influence indue de l’entourage du client : Dans un tel cas de figure, l’avocat s’expose à des allégations de la part de cet entourage à l’effet que le client était inapte au moment de tester ou qu’il y a eu un manque de compréhension.
- Pratique dans un domaine de droit peu familier : Cela va de soi… Les besoins de vos clients évoluent en fonction de leur âge. À titre d’exemples, il se peut qu’un client pose des questions à son avocat en droit des affaires sur sa planification testamentaire et successorale ou encore, sur les aspects fiscaux liés au transfert de sa compagnie à ses enfants. Or, pratiquer dans un domaine de droit peu familier augmente les risques d’erreurs. Soyez donc vigilant avant d’accepter un tel mandat.
Mesures préventives :
- Identifiez qui est votre client. En effet, la situation peut porter à confusion. Tel serait le cas, lorsque le mandat provient d’un tiers, par exemple, l’enfant d’un client inapte. Cela est d’autant plus vrai si ce tiers paie vos honoraires. Aussi, identifiez clairement qui est le client dans votre lettre-mandat.
- Soyez attentif aux signes précurseurs d’une maladie neurologique chez le client et le cas échéant, assurez-vous de sa capacité. À cet égard, consultez l’article mentionné plus haut intitulé Alzheimer, troubles cognitifs et vieillissement : l’impact sur la responsabilité professionnelle qui décrit certains de ces signes et fournit de précieux conseils lorsqu’il existe un enjeu de capacité chez le client.
- Adaptez votre pratique aux clients séniors. Cela implique de prendre plus de temps pour écouter, poser les bonnes questions et expliquer. De même, confirmez par écrit le contenu de vos conversations avec le client.
- Renseignez-vous sur le droit des aînés. Si vous décidez d’offrir des services à cette population, assurez-vous d’en connaître les rouages.
- Combattez la procrastination chez le client. Sensibilisez ce dernier aux impacts négatifs d’un manque de planification sur ceux qui lui survivront. Ex. : l’absence de testament.
- Faites attention à l’influence indue que peuvent subir vos clients. Consultez les lignes directrices / Intervention de l’avocat et du notaire auprès des aînés et des majeurs en situation de vulnérabilité et levée du secret professionnel dans le contexte de la lutte contre la maltraitance envers ces clientèles élaborées par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec. Ces lignes directrices vous permettront d’agir conformément à la loi et à la jurisprudence en matière de secret professionnel.
L’entourage professionnel vieillissant
Le départ à la retraite ou l’invalidité de l’un de vos collaborateurs (avocat, adjointe juridique ou parajuriste) peut accroître les risques en matière de responsabilité professionnelle. À titre d’exemple, on peut penser à un délai qui échappe à l’avocat puisque son adjointe décide soudainement de prendre sa retraite et omet de lui transférer un rappel de la date de prescription d’un dossier.
Mesures préventives :
- Au risque de nous répéter, établissez un plan de continuité de votre cabinet pour être en mesure de demeurer opérationnel même à la suite du départ d’un membre de votre personnel.
- À l’instar de ce qui a été dit pour vos collègues et clients, demeurez à l’affut de signes précurseurs de maladies neurologiques et consultez l’article intitulé Alzheimer, troubles cognitifs et vieillissement : l’impact sur la responsabilité professionnelle. Veillez à ce que la maladie d’un collaborateur ne nuise pas aux droits et intérêts de vos clients.
En conclusion, le vieillissement, que ce soit celui de l’avocat, de ses clients ou de son personnel, comporte certains risques qu’il faut gérer. Cela dit, « Pas la peine de stresser, tout le monde doit vieillir un jour. Alors autant vieillir en gardant le sourire parce que vieillesse rime aussi avec sagesse! » (Anonyme).
Référence : Lawyers Indemnity Fund, “Baby boomer blues: The practice risks of aging”, 2017, en ligne : https://www.lif.ca/risk-management/practice-management-wellness-risks-and-tips/aging/.
[1] Barreau du Québec, Sous la loupe des barreaux de section 2017, Édition spéciale du Barreau-mètre – La profession en chiffres, Montréal, Québec, Barreau du Québec, 2017, en ligne : https://www.barreau.qc.ca/media/1239/barreau-metre-section.pdf.
[2] Barreau du Québec, Sous la loupe de la diversité 2017, Édition spéciale du Barreau-mètre – La profession en chiffres, Montréal, Québec, Barreau du Québec, 2017, en ligne : https://www.barreau.qc.ca/media/1238/barreau-metre-diversite.pdf.
[3] Code de déontologie des avocats, RLRQ, c. B-1, r. 3.1, art. 22, al. 2.
[4] Id., art. 20.
[5] Id., art. 134.
[6] Id., art. 21.
[7] Id., art. 21.